Sud-Kivu : Entre nomination, tensions politiques et atrocités, la population prise en étau comment l’AFC/M23 redessine l’espace public au Sud-Kivu

Entre nomination controversée, meeting explosif et exécution filmée, le Sud-Kivu vit des heures sombres sous le contrôle de l’AFC/M23. Tandis que les rebelles posent leurs pions à la tête des institutions, les civils, eux, paient le prix fort. Récit d’une triple réalité où la politique rime avec panique, la sécurité avec barbarie, et le silence avec complicité.

En procédant à des nominations stratégiques, la province reste marquée par une instabilité grandissante. En l’espace de quelques jours, trois événements distincts mais étroitement liés par le contexte sécuritaire et politique ont secoué l’opinion publique. De la désignation d’un nouveau gouverneur à une attaque sanglante lors d’un meeting à Kadutu, jusqu’à des exécutions filmées de civils dans un quartier de Bukavu, le Sud-Kivu donne à voir les contours d’une crise multiforme.

Dans un communiqué officiel daté du mercredi 11 juin, l’AFC a annoncé la désignation de Monsieur Busu Bwa Ngwi Nshombo Patrick en tant que nouveau Gouverneur de la Province du Sud-Kivu, en remplacement de Monsieur Emmanuel Birato Rwihimba, rappelé à d’autres fonctions au sein de la coordination du mouvement. Ce changement à la tête de l’administration provinciale a été entériné par le document n°22/COORDO-PR/AFC-M23/2025.

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Officiellement, cette décision vise à renforcer la stabilité administrative, la paix et la bonne gouvernance dans une province fortement secouée par les conflits armés. L’AFC s’appuie notamment sur la Constitution congolaise et son propre Acte constitutif pour légitimer cette nomination.

Cependant, cette annonce suscite des interrogations profondes sur la légalité et la légitimité d’une telle désignation dans un contexte d’occupation militaire partielle par un mouvement armé, le M23, dont l’AFC est un des principaux soutiens. La population locale et les observateurs attendent les premières prises de parole du nouveau gouverneur, alors que les défis sécuritaires restent entiers.

Au vu des parades militaires, l’AFC dispose d’un nombre suffisant de militaires pour avancer jusqu’à Kinshasa. Cependant, l’intérêt minier qui motive la progression du mouvement a vu tous ces militaires engloutis dans un combat contre les Wazalendo pour le contrôle des carrés miniers : à Luhihi (mine d’or artisanale), à Luwindja (Twangiza Mining devenu chinois), à Tubimbi (dans la mine alluvionnaire des Chinois de KARALA), et sur l’axe Nzibira-Luntukulu (ancien carré minier de la SOMINKI et centre de négoce). L’ironie du sort ? Une grande ville comme Bukavu n’est plus sécurisée: la nuit, elle est sous le contrôle des gangs, et le jour, sous celui du M23. D’où les multiples vols à main armée nocturnes et un bilan dramatique de 5 à 10 personnes tuées par nuit.

  1. Violence politique à Kadutu : un meeting tourne au drame

Moins de 24 heures avant cette annonce, un meeting politique organisé à Funu par le Bourgmestre Samuel Byamungo Kazimiri, désigné lui aussi par l’administration de l’AFC/M23, a tourné à la tragédie. Alors qu’il tentait de mobiliser des jeunes à rejoindre l’Armée Révolutionnaire Congolaise (ARC), une grenade a été jetée dans la foule, causant panique, blessés, et décès — notamment par des véhicules en débandade. Le bilan exact reste encore inconnu.

La réplique immédiate des éléments armés du M23, qui accompagnaient le bourgmestre, a provoqué un climat de terreur dans la commune de Kadutu. Cette attaque soulève des questions sur le choix symbolique du lieu : le terrain de Funu est chargé d’histoire, notamment depuis un meeting patriotique tenu récemment par Jules Kahasha alias Foka Mike, appelant à la résistance contre l’agression du M23. La volonté du M23 d’organiser un meeting sur ce même site pourrait être interprétée comme un acte de défiance politique ou une tentative de réappropriation symbolique de l’espace public.

Les réactions restent vives parmi les groupes locaux, notamment les Wazalendo, qui considèrent Funu comme un bastion historique de la résistance. Entre provocations, rivalités politiques et usage de la force, la scène politique locale est aujourd’hui profondément fracturée.

  1. Exécutions extrajudiciaires : un crime filmé à Funu

Dans un troisième fait alarmant, une vidéo amateur devenue virale ce mercredi montre l’exécution d’un civil non armé à Funu, les mains en l’air, suppliant pour sa vie. Un individu, visiblement complice des rebelles du M23, donne l’ordre : « Tue-le ». Quelques instants plus tard, un rebelle tire à bout portant, sous les cris déchirants de la victime. La scène est d’une brutalité glaçante.

Cette vidéo vient corroborer plusieurs témoignages de violations graves des droits humains dans les zones sous contrôle des forces rebelles. Elle met également exergue la brutalité quotidienne que subissent les populations locales, dans l’indifférence apparente des autorités installées. L’absence de réaction officielle de l’AFC/M23 jusqu’à présent ne fait qu’aggraver l’indignation.

Une même toile de fond : l’occupation et ses dérives

Ces trois événements, bien que différents dans leur forme  politique, militaire, et humanitaire révèlent un même fil conducteur : la complexité et les dangers d’une gouvernance de facto exercée sous occupation. Si l’AFC prétend vouloir instaurer la paix et la stabilité, les actes de terrain démontrent une dérive autoritaire et violente, marquée par des violations des droits humains, une instrumentalisation des symboles patriotiques, et une confusion croissante entre leadership politique et pouvoir militaire.

À Bukavu, comme ailleurs dans le Sud-Kivu, la fragilité du tissu social et l’absence de garanties sécuritaires menacent de basculer la province dans un cycle plus profond de violence et de méfiance. Face à cette situation, les voix citoyennes, les organisations de défense des droits humains, ainsi que la communauté internationale sont appelées à prendre position, non seulement pour condamner les abus, mais aussi pour exiger des mécanismes crédibles de protection des civils et de retour à l’ordre constitutionnel.

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