On nous a appris à souffrir en silence, à faire des cicatrices des bijoux de guerre, à tresser nos douleurs en récits inspirants. Mais à force de glorifier la résilience, on oublie de soigner les plaies. Et si on arrêtait de faire de la souffrance une étape obligatoire pour mériter d’exister, de créer, d’être écouté ?
Tu as forcément déjà entendu un parent, une tante, un oncle ou un.e aîné.e dire : « De mon temps… », et finir par une leçon de souffrance : « De mon temps, on marchait 10 km pour aller à l’école ». « De mon temps on dormait sur des nattes et on mangeait ce qu’on avait, même si ce n’était rien ». « De mon temps, on ne pleurait pas, on endurait. Et toi, là, tu oses dire que tu es fatigué·e ? »
Le CV de la douleur
Pourquoi faut-il que nos histoires commencent toutes par une tragédie pour être entendues ? Pourquoi faut-il prouver qu’on a « souffert assez » pour être pris au sérieux ? On présente nos traumatismes comme des trophées. On fait de nos cicatrices un CV émotionnel. On parle de résilience comme d’un diplôme. « Je suis passé·e par-là, donc j’ai le droit de parler ». Mais à quel prix ?Et si je n’avais pas envie de sauter dans le feu pour prouver que je sais danser ?
L’enfance comme fable sacrificielle
Même nos douleurs doivent être esthétiques. Il faut savoir souffrir joliment. Pleurer sans faire couler le mascara. S’effondrer, mais avec élégance.
On romantise les crises d’angoisse comme si c’étaient des poèmes. On encadre nos burn-outs comme des œuvres d’art. On dit : « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort ». Mais parfois, ce qui ne te tue pas te laisse vivant·e mais vidé·e, instable, en mille morceaux. Et personne ne poste ça. On glorifie les parents martyrs. « On a souffert pour que tu ne souffres pas ». Mais au lieu de nous libérer, ils nous passent le relais de la douleur. Et si le vrai courage, c’était de briser la chaîne ? Et si le progrès, ce n’était pas de souffrir moins glorieusement, mais de ne plus souffrir du tout ?
Laisse tomber la cape, héros fatigué·e !
Et si on créait, non pas pour guérir, mais parce qu’on va bien ? Et si on s’autorisait la joie sans justification ? La paix intérieure est un art. Le silence aussi. La banalité heureuse devrait être tendance.
Tu n’as pas besoin d’une tragédie pour être profond.e. Tu n’as pas besoin de te noyer pour savoir nager. Tu as le droit de dire non à la douleur. Tu as le droit de guérir sans faire de ta guérison un spectacle. Tu as le droit de vivre, même si tu n’as rien à raconter d’horrible.
Ciella Patience Ashimwe/Yaga Burndi