Paix RDC-Rwanda : Des voix congolaises appellent à ne pas sacrifier la justice sur l’autel de la diplomatie

Alors que l’accord de paix entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, paraphé sous la facilitation des États-Unis, suscite une vague de réactions, des voix congolaises influentes alertent sur les risques d’une paix négociée sans justice. Le Professeur Nyabirungu Mwene-Songa et le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, dénoncent une approche diplomatique qui éluderait les droits des victimes et les impératifs de justice transitionnelle.

Signé à Washington sous la médiation des États-Unis et en présence du Qatar comme observateur, l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali est présenté comme une étape vers la fin des tensions persistantes entre les deux pays. Ce texte, qui fait suite à une déclaration de principes datant du 25 avril, énumère des engagements généraux : cessation des hostilités, désarmement des groupes armés, retour des réfugiés et intégration économique régionale.

Mais au-delà de ces bonnes intentions affichées, plusieurs voix s’élèvent en RDC pour rappeler qu’aucune paix ne saurait être durable si elle se construit sur l’oubli des crimes commis.

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Raphael Nyabirungu Mwene Songa

Figure emblématique du droit congolais, le professeur émérite Nyabirungu Mwene-Songa, ancien doyen de la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa, a réagi à l’accord dans une publication sur son compte X (ancien Twitter). Il y rappelle une vérité historique : « Pas de paix sans que justice ne passe. C’est cela la justice transitionnelle, préalable à une paix durable. »

Pour ce juriste, ignorer les milliers de victimes des conflits armés dans l’Est de la RDC, c’est risquer de bâtir une paix fragile, fondée sur des compromis politiques et économiques au détriment de la vérité et de la mémoire collective. Il appelle à replacer les droits des victimes au cœur du processus de réconciliation.

Denis Mukwege : “Une prime à l’agresseur”

Même son de cloche du côté du Dr Denis Mukwege. Dans une déclaration rigoureuse et argumentée, le gynécologue congolais, Prix Nobel de la paix 2018, exprime sa profonde circonspection vis-à-vis de la déclaration conjointe du 18 juin. Il critique la « vagueur » du texte et dénonce l’absence de reconnaissance explicite de l’agression rwandaise contre la RDC, pourtant documentée par les Nations Unies.

« Accorder une prime à l’agresseur, légitimer le pillage et sacrifier la justice pour une paix fragile, c’est enterrer toute chance de réconciliation durable », prévient Mukwege. Il appelle à rompre avec l’approche bilatérale et à promouvoir un cadre multilatéral transparent, fondé sur la justice transitionnelle, la vérité, la réparation et des sanctions internationales fermes en cas de violation des engagements.

Tous deux insistent sur l’urgence d’inscrire les pourparlers dans le cadre contraignant de la résolution 2773 du Conseil de sécurité, qui exige notamment le retrait immédiat des troupes rwandaises et la fin de leur soutien aux groupes armés comme le M23. Ils appellent également à revitaliser l’Accord-Cadre d’Addis-Abeba de 2013 et à organiser une conférence internationale inclusive, impliquant femmes, jeunes et société civile.

Au moment où des millions de Congolais continuent de vivre dans l’insécurité, déplacés, traumatisés, ou privés de leurs terres et de leurs droits, le message de Nyabirungu et Mukwege est sans ambiguïté : sans reconnaissance des crimes, poursuites des auteurs et réparations aux victimes, la paix ne sera qu’un mirage diplomatique, exposé aux vents contraires des intérêts géopolitiques et économiques.

La RDC ne peut tourner la page de décennies de conflits sans affronter la vérité. Le chemin de la paix passe par la justice. Et cette justice ne peut être négociée. C’est le prix d’une paix durable, celle que réclament et méritent les victimes oubliées de l’Est du Congo.

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