“Banyamulenge : entre deux capitales, un peuple pris pour GPS, pendant que Kinshasa et Kigali jouent au Monopoly diplomatique”.

Par-delà les collines meurtries de l’Est congolais, loin des tirs et des cris, une autre guerre fait rage – silencieuse, feutrée, mais tout aussi stratégique : celle de l’influence. Entre Kinshasa et Kigali, ce bras de fer dépasse désormais les lignes de front pour s’inviter dans les couloirs diplomatiques de Washington, Bruxelles ou New York, et jusque dans les algorithmes des réseaux sociaux. Une guerre d’images, de récits et de représentations, où chaque mot compte autant qu’un tir d’artillerie.

Sous la pression des États-Unis, qui exhortent la RDC et le Rwanda à conclure un accord de paix d’ici la fin juin, les apparences d’un dialogue persistent. Mais dans les faits, les deux capitales affinent leurs stratégies d’alignement international, chacune tentant de séduire ou de convaincre les puissances occidentales de la légitimité de sa cause. Cette compétition révèle une vérité brutale : sans reconnaissance extérieure, aucune victoire ne semble envisageable.

Trois fronts se dessinent clairement. Le premier, diplomatique, se joue dans les salles de médiation, là où les alliances se nouent et se dénouent à coups de communiqués. Le second, économique, s’enracine dans le sous-sol congolais : cuivre, or, coltan… autant de minerais qui attisent les convoitises et nourrissent les tensions régionales. Le troisième front, plus insidieux, se déroule sur le terrain symbolique et identitaire : celui du récit autour de la communauté Banyamulenge.

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Longtemps présentés comme un monolithe rwandophone, les Banyamulenge commencent à briser les carcans du discours dominant. La tournée d’Enock Ruberangabo Sebineza – ancien député et vice-ministre congolais – accompagné de Jean Scohier Muhamiriza et Joseph Nzeyimana, reçus au Département d’État américain, à l’ONU ou encore en Europe, en est l’exemple. Leur message est clair : non, le Rwanda ne parle pas au nom de tous les Banyamulenge ; oui, ils condamnent les persécutions dont ils sont victimes ; mais surtout, ils réaffirment leur attachement à la nation congolaise.

Cette prise de parole autonome dérange. Elle révèle une fissure dans la narration soigneusement entretenue par Kigali, mais également dans celle de Kinshasa. Car pendant que certains Banyamulenge se dissocient du M23 et rejettent l’ombre tutélaire du Rwanda, d’autres, notamment via des associations basées en Europe, continuent de soutenir la rébellion armée. Une division symptomatique d’un conflit instrumentalisé, où les communautés sont trop souvent réduites à des rôles écrits d’avance.

Le piège est là : enfermer des populations entières dans des logiques de fidélité binaire – pro-RDC ou pro-Rwanda – au lieu de leur rendre leur complexité, leur pluralité, leur voix propre. Et cette instrumentalisation, cynique, est savamment entretenue par les deux capitales. Kinshasa cherche à démontrer que tous les Banyamulenge ne sont pas des relais de Kigali. Kigali, de son côté, utilise la souffrance de cette même communauté pour légitimer une ingérence qu’il nie pourtant officiellement.

Dès lors, que vaut la pression américaine pour un accord de paix, si elle ne s’accompagne pas d’une écoute sincère des voix locales ? Une paix durable ne se décrète pas depuis les chancelleries, elle se construit avec ceux qui vivent les conséquences des politiques de domination et des guerres par procuration.

Les Banyamulenge ne doivent plus être des pions, mais des acteurs. Leur diversité d’opinions, leurs souffrances et leurs aspirations doivent être prises en compte – non pas pour renforcer une stratégie géopolitique, mais pour bâtir une paix juste et inclusive. C’est le seul chemin crédible vers une stabilité régionale.

En attendant, la guerre des récits continue. Et comme souvent, ce sont les civils qui paient le prix du silence, des non-dits, et de la manipulation. Ne nous trompons pas de combat : derrière chaque discours, chaque hashtag, chaque ambassade sollicitée, il y a des vies. Et aucune guerre d’influence ne devrait pouvoir les effacer.

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